Les noms de “Tarentaise” et “Vanoise” ne signifient pas que champs de neige et stations de sports d'hiver. Au delà de cette évidence, il y a aussi des espaces grandioses, des villages traditionnels, une nature magnifique et une faune remarquable. Les quelques pages que je vous propose ont pour but de vous faire passer de l'autre côté du miroir et de rentrer dans la profondeur de ces espaces magnifiques.
L'Etroit du Siaix est situé sur la commune de Saint Marcel, dans la Vallée de Tarentaise. C'est un lieu chargé d'histoire, un verrou impressionnant qui, de tout temps, a posé un énorme problème de franchissement pour accéder à la Haute Tarentaise ou à l'Italie par le Col du Petit Saint Bernard. Deux rocs se sont déchirés l'un de l'autre à une profondeur effrayante pour laisser s'écouler les eaux de l'Isère mais si les eaux ont trouvé leur chemin, les humains ont eu bien plus de mal à trouver le leur. La route actuelle passe à mi-hauteur dans un long tunnel. Avant ce tunnel, la RN90 serpentait au même niveau, mais à flanc de montagne ; auparavant encore, la route dite "sarde" passait plus haut dans cet immense rocher, mais, très longtemps avant ce travail dû à la hardiesse de Charles-Emmanuel III, le chemin était au fond du précipice. C’était la voie romaine dont il reste encore des vestiges. Cette voie avait d’ailleurs repris le cheminement naturel tracé par les Ceutrons depuis plusieurs millénaires.
Remontons le temps :
Depuis 1990 : Le "Tunnel du Siaix" ouvre une nouvelle voie.
Depuis 1990, la massive barrière rocheuse n'est plus un obstacle; elle est esquivée grâce au percement d'un tunnel long de 1619 mètres qui permet passer sans encombre et rapidement (à peine un peu plus d'une minute en voiture) et de Saint Marcel à Centron
Entrée Ouest - côté Saint Marcel
Entrée Ouest - Saint Marcel Ci-dessous, sortie Est - côté Centron
- de 1874 à 1990 : La RN90 passait à flanc de montagne
La route sarde, comme la voie romaine, était barrée quasiment tous les ans par de grosses chutes de pierres lors des périodes de dégel ou de fortes pluies. Pour mieux maîtriser ce problème, un projet de contournement comprenant le percement d'un tunnel est étudié à partir de 1866, mis en oeuvre en 1872 et inauguré en 1874. Ce nouveau tracé permettra à la RN90 de se frayer un passage à flanc de montagne; Ce passage qui partait sur la droite, à hauteur du tunnel actuel, sera désaffecté en 1990, date de la mise en service du "Tunnel du Siaix". Après deux petits tunnels creusés au bord de la falaise, la RN90 déroulait son tapis d'asphalte contre une paroi impressionnante, haute de 200 mètres, puis au pied d'une pente abrupte haute de près de 400 mètres dans sa partie la plus élevée. Cette portion de près de 1 km restait dangereuse car très exposée aux chutes de pierres qui l'arrosaient régulièrement malgré le passage sous tunnel, le replat de la route sarde et les centaines de mètres de gros filets installés en amont.
L'entrée du premier petit tunnel, coté Ouest - St Marcel
Le deuxième tunnel vu depuis le bord de l'Isère
L'ancienne RN 90, vue de la route sarde
RN90, à mi pente, vue depuis l'Isère et, au dessus, la Route Napoléon. Chute de blocs entre les deux tunnels
Ancienne RN90. Après les tunnels, direction Centron
- de 1766 à 1874 : La route "Sarde".
Le tracé antique au fond de vallée a été utilisé jusqu'en 1766 (il est encore marqué sur la mappe en 1728-32), puis fut déclassé au profit d'un tracé encore bien visible 200m plus haut, appelé route sarde, car réaménagé à l'époque Charles-Emmanuel III. La mise en œuvre de ce tracé a requis énormément de hardiesse, une grande technicité et a représenté un travail colossal au regard des longueurs de murs construits. Certains émettent l'hypothèse que l'origine de ce passage serait beaucoup plus ancien, voire antique (mais la réalité du terrain au milieu du défilé ne permet pas de soutenir objectivement cette théorie).
Passés les premiers hectomètres, le passage devient vertigineux et très aérien; Un important mur de soutènement de plus de 100m, accroché au milieu de la falaise, est indispensable pour passer; A cet endroit, il est clair que ni les gaulois, ni les allobroges n'avaient le savoir-faire nécessaire pour réaliser ce type d'ouvrage, pour preuve, même les romains, experts en la matière, ne s'y sont pas hasardés.
Le mur de soutènement dynamité durant la dernière guerre laisse apparaître le profil de la paroi rocheuse. Il est difficilement imaginable qu'un chemin ait pu passer à cet endroit.
En parcourant le reste de cette route jusque sous le Villaret de Montgirod, on constate qu'elle a nécessité la création de murs parfois considérables sur près de deux kilomètres pour ouvrir un vrai passage sans pour autant être à l'abri des éboulements massifs ou des chutes de pierre sporadiques.
- La voie romaine (de l'antiquité jusqu'en 1766)
Il faut avoir en mémoire que la fréquentation des cols alpins par les hommes et leurs diverses marchandises remontent à une époque très ancienne (3000 à 2500 avant JC). C'est vers -500 que la peuplade celte des Allobroges s'installe dans les Alpes du Nord. Les Allobroges étaient composés des Ceutrons (Tarentaise, Mont Blanc), des Médulles (Vallée de la Maurienne), des Salasses (Val d'Aoste) et des Nantuates (rives du Lac Léman). Les Ceutrons occupaient la Tarentaise (versant occidental du Petit-Saint-Bernard) sur la route d'Italie à Lyon et alliés de Salasses, ils contrôlaient les passages des Alpes du Nord.
Le défilé ou Étroit du Siaix a probablement vu le combat le plus meurtrier que l'armée d'Hannibal a subi durant sa traversée des Alpes en -218 (Lire" Hannibal chez les Allobroges" d'Aimé Bocquet - La Fontaine de Siloé). Polybe en décrit les péripéties avec précision et les détails concordent avec la topographie des lieux. "Après de lourdes pertes, le soir venu, une partie de l'armée campa dans l'ombilic de Centro-Villette". Autre référence : lorsque César conduisait ses légions pour contrer les Helvètes, il mentionne qu'en autre les Ceutrons occupèrent les hauteurs et tachèrent de s'opposer à son passage, ce n'est après plusieurs combats qu'il parvint à les repousser. Les Ceutrons et les Salasses ne furent soumis à Rome que sous Auguste et c'est Tarentius Varo qui le fit au prix d'un grand carnage (-18 avant JC).
Faute de pouvoir creuser des tunnels ou de savoir édifier des murs de soutènement très importants, les premiers habitants ont choisi de suivre le fond de la vallée et, en s'adaptant aux contraintes du terrain, de longer le cours de la rivière; C'est là que l'on trouve le tracé de la première voie de passage, encore jalonnée de vestiges de murs marqués du savoir-faire des romains. On estime que ces aménagements ont été réalisés à la période de Jules César (entre -50 avant JC et 2 ou 3 après JC) pour faciliter le passage de ses légions; Ce tracé antique au fond de vallée a été utilisé jusqu'en 1766
Comme on peut le voir ici, il est encore marqué sur la mappe en 1728-32.
Les traces de la voie romaine:
En arrivant à hauteur de Saint Marcel, la voie redescendait régulièrement à flanc de coteau pour rejoindre le pied de la falaise et les rives de l'Isère. Ce passage n'est plus visible car il a été totalement recouvert par une décharge de déchets industriels (aujourd'hui réhabilitée). On devine le tracé dans sa partie basse, au milieu des feuillus, grâce au profil du terrain et aux petits murs de soutènement qui le jalonnent.
En arrivant près de l'Isère, la voie reste en hauteur, à l'abri des eaux, en longeant la falaise
En suivant l'axe du chemin on retrouve un nouveau mur puis un passage totalement encombré de pierres.
Le défilé se resserre (la voie, comblée par les éboulis, devait passer au niveau du pin) puis la falaise oblige à descendre au bord de la rivière pour passer ; c'est là, le seul passage inondable en cas de fortes crues.
Passé ce point bas, le profil du terrain montre que la voie devait reprendre un peu de hauteur en remontant dans la pente, contre la falaise;
A 20 m au dessus du lit de la rivière, on retrouve le profil de la voie totalement envahi par les éboulis, il faut dire que 40 m plus haut se trouve l'ancienne RN90 et au dessus encore un passage très aérien de la voie sarde.
A la sortie du pierrier, la pente reste sévère, mais dans un paysage plus adouci la voie serpente au dessus de la rivière
Après avoir parcouru 500m environ, les vestiges d'un mur important apparaissent. Il est situé à mi-parcours entre l'entrée du défilé et le début de la plaine de Centron, et légèrement en retrait du profil de la voie; on peut supposer que les romains ont construit là une place qui permettait aux convois de se croiser (on aperçoit, au dessus, les murs de l'ancienne RN90)
Vue du défilé depuis le pied du grand mur. La voie se poursuit en s'adaptant aux contraintes du terrain
comme ici, où pour assurer le passage, en amont le rocher a été entaillé et en aval un mur de soutènement a été construit;
En poursuivant à flanc de coteau, selon le profil de la pente et la nature du sol, on retrouve par bribe le profil la voie romaine
et, après environ 1 km, nous arrivons au niveau du barrage qui marque l'entrée de la plaine de Centron.
Complément : Les voies de communication en Pays de Savoie
A partir de -15.000 ans avant JC, un réchauffement important fait que les glaciers n’occupent plus que les vallées alpines avec la formation des lacs de fontes (Annecy). Vers -12.000 ans, l’homme de Neandertal disparait laissant la place à l’homo sapiens. Vers -5.000 ans la révolution néolithique voit la naissance du premier réseau routier. Dès le néolithique final (-2.000 ans) on peut affirmer que tout l’arc alpin est occupé par les hommes. De -2.000 à l’antiquité romaine, les populations locales vont devoir assimiler plusieurs vagues d’envahisseurs. 500 ans après JC, après une lente décadence de l’empire romain , les grandes voies de communication se dégradent laissant place au réseau local qui permet de maintenir l’économie agropastorale. Au moyen âge, aucun changement n’est constaté sur les voies de communication. C’est pendant le règne du roi Victor-Emmanuel que se modernise la Savoie. De 1860 à 1914, 600 kms de routes sont construits. De 1918 à 1939, l’industrialisatuion, l’électrification des vallées et une politique de restauration des terrains de montagne voient la naissance des stations de ski. C’est la fabuleuse épopée du chemin de fer.